Des dauphins à Venise

Des Dauphins à Venise

Qu’est devenue notre humanité?

Sur le bord de la scène, une femme âgée est attablée et attend. Devant elle, une théière et deux tasses. La sienne et celle d’un convive qui ne vient pas. Les yeux perdus dans le vague et alors que sa fille vient la visiter, elle plonge en elle-même et se remémore les moments passés avec cet homme, un réfugié, qui vient
de tenter le passage vers l’Angleterre et qui ne donne pas de nouvelles… il semble avoir disparu. Succession de « fade in – fade out » de fragments sonores et vidéos. Halètements, bruits de course, chuchotements indistincts. Des grillages qui défilent. Tout est urgence… Panique ! Derrière ou sur un écran translucide, à travers des troncs d’arbre, on projette et on évoque les souvenirs du quotidien que cette femme a partagé avec ces migrants de passage en quête d’un avenir meilleur.

Une mère qui attend, et sa fille qui ne comprend pas !C’est ainsi que les deux femmes vont, dans un face-à-face tendu, confronter leurs visions opposées de la migration en transit.

A travers leur dialogue, elles mettent en lumière, par petites touches de plus en plus larges, la destinée, le voyage et l’histoire de ces hommes et femmes qui nuits après nuits tentent « le passage ». Parmi eux, un homme à qui cette deuxième tasse est destinée et qui, s’il ne donne pas de nouvelles, n’existera plus qu’à travers ce qu’une vieille dame sait de lui. Alors elle le raconte. Et à mesure qu’elle lui donne un corps, une existence et enfin un nom… elle interroge notre humanité, notre générosité ou son absence pour, au final, « réparer » sa fille… Elle qui ne voulait pas voir ce qui se jouait là, à deux pas d’elle, dans un campement
de fortune caché au fond d’un petit bois. Sa fille qui avait oublié de voir avec le cœur et qui désormais ne peut plus faire comme si elle ne savait pas.

« Si tu t’arrêtes un instant et que tu prends le temps de regarder, de regarder
vraiment, alors tu verra ce qui a toujours été là….juste sous tes yeux» lui dit-elle.

‘Des Dauphins à Venise’ met en lumière le parcours d’un migrant en transit nommé Wajdi (personnage fictif), à travers le dialogue d’une mère et de sa fille.
La mère est une des bénévoles qui accueillent et hébergent les migrants en transit entre leurs tentatives pour monter dans un camion à destination de l’Angleterre. La fille, quant à elle, fait partie de la population qui craint ces migrants et voit en eux une source de danger, d’insécurité et de problèmes.
Pétrie de clichés concernant ces personnes en situation illégale, elle ne comprend pas qu’on puisse les aider et encore moins que sa propre mère le fasse. Aveuglée par ses préjugés, elle ignore tout de la réalité de ces gens, et plus encore, ignore dans quelles conditions ces derniers vivent dans un camp de fortune à deux pas de chez elle. Un parking, un petit bois, des abris de fortune.
Des humains invisibles dont les traces s’effacent. Au fur et à mesure de leurs conversations, la mère va progressivement révéler à sa fille l’histoire et le drame de plusieurs de ces migrants en transit. Cette histoire prendra corps à travers des sons et des vidéos. Mais aussi par des apparitions quasiment fantomatiques
de Wajdi et de Hadil à travers leur parcours de réfugiés, dans les arcanes de l’administration, dans la froideur glaçante d’un container ou encore dans leur campement de fortune.
Progressivement, le récit de la mère amènera la fille à se projeter dans l’odyssée de ces hommes, et à s’identifier à lui/eux, mais aussi aux motivations de sa mère.
A mesure que l’histoire se déroule, Wajdi prend corps, devient réel et les convictions de la fille évoluent.
A travers leur dialogue, c’est notre humanité et notre capacité d’empathie qui sont interrogées. Les thèmes de la déshumanisation, du racisme et des préjugés sont traités frontalement, et les comédiens font office de miroir et nous renvoient à nous-mêmes. Cet effet est accentué en choisissant volontairement de traiter le sujet par le prisme de ce qui se joue réellement à deux pas de chez nous, notamment sur l’aire de Nantimont (Habay – province du Luxembourg) et dans le petit bois attenant, mais aussi à bien d’autres endroits du pays.

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